
Oubliez les versions latines poussiéreuses et les discours intimidants. La bande dessinée « Le Cas Cicéron », scénarisée par Violaine Robert-Mas et brillamment mise en image par Thibaut Mazoyer, réussit le pari de rendre le plus célèbre avocat de Rome accessible, passionnant, et terriblement moderne. En plongeant le lecteur au cœur des plus grandes affaires de sa carrière, cet ouvrage transforme l’histoire romaine en un véritable thriller politique.
Une narration à plusieurs voix
L’une des grandes forces de l’ouvrage est sa structure narrative. Plutôt qu’un simple biopic, le récit se divise en cinq chapitres, chacun adoptant le point de vue d’un personnage différent qui a croisé la route de Cicéron. On découvre ainsi l’ascension du jeune avocat à travers les yeux angoissés de son premier grand client, Sextus Roscius, injustement accusé de parricide. On mesure l’ampleur de la corruption de l’époque avec Fulvia, une jeune Sicilienne venue chercher l’aide de Cicéron pour faire tomber le préteur prévaricateur Verrès.
On entre ensuite dans son intimité politique et familiale grâce au regard de son épouse, Terentia , avant de basculer au cœur du danger avec Lentulus Sura, l’un des conjurés de Catilina. Enfin, c’est Tiron, son fidèle secrétaire , qui nous raconte le dénouement de la conjuration, moment où Cicéron est acclamé « Père de la Patrie ». Ce procédé ingénieux offre une vision nuancée et dynamique de l’homme et de son époque.
Une enquête au cœur de la République
Le livre nous plonge dans trois affaires emblématiques qui ont jalonné la carrière de Cicéron :
- L’affaire Sextus Roscius : Un jeune avocat inconnu, homo novus (homme nouveau) , ose affronter Chrysogonus, un homme de main du tout-puissant Sylla. En posant la question devenue célèbre, « À qui profite le crime ? » (Cui bono?), il sauve un innocent et se forge une réputation.
- Le procès de Verrès : Cicéron mène une enquête minutieuse en Sicile pour dénoncer les pillages et les abus de pouvoir du gouverneur Verrès, démontrant que personne n’est au-dessus des lois de la République.
- La conjuration de Catilina : Devenu consul, Cicéron déjoue un complot visant à renverser la République par la violence. Ses discours au Sénat, les fameuses Catilinaires, poussent Catilina à la fuite et permettent d’arrêter les complices, au prix d’une décision controversée : leur exécution sans procès.
Le dessin de Thibaut Mazoyer, avec son style moderne et ses anachronismes volontaires (voitures, costumes contemporains), renforce l’universalité des thèmes abordés : la lutte contre la corruption, la défense de la démocratie, l’ambition politique et les sacrifices qu’elle exige. « Le Cas Cicéron » est plus qu’une simple biographie ; c’est une leçon d’histoire et de citoyenneté, servie par un scénario haletant et un graphisme percutant. Un ouvrage à mettre entre toutes les mains.
Fiches d’Activités Pédagogiques
Voici 4 fiches d’activités pour exploiter la bande dessinée en classe (Histoire, Français, Latin).
Activité 1 : Qui parle ? Le jeu des perspectives
Objectif : Comprendre l’impact du choix du narrateur sur le récit et le portrait d’un personnage.
Déroulement :
- Divisez la classe en 5 groupes. Attribuez à chaque groupe un chapitre et son narrateur :
- Groupe 1 : Sextus Roscius (Chapitre 1)
- Groupe 2 : Fulvia (Chapitre 2)
- Groupe 3 : Terentia (Chapitre 3)
- Groupe 4 : Cornelius Lentulus Sura (Chapitre 4)
- Groupe 5 : Tiron (Chapitre 5)
- Chaque groupe doit répondre aux questions suivantes en s’appuyant sur la BD :
- Qui est le narrateur et quel est son lien avec Cicéron ?
- Comment ce narrateur perçoit-il Cicéron ? (Un sauveur, un allié, un mari ambitieux, un ennemi, un maître ?)
- Citez une phrase ou décrivez une case qui illustre parfaitement le point de vue du narrateur sur Cicéron.
- Mise en commun : Chaque groupe présente son analyse. La classe débat ensuite du portrait global de Cicéron qui se dégage de ces différentes perspectives.
Pour aller plus loin (Latin/Français) : Comparez le discours de Cicéron dans la BD lors de la première Catilinaire (p. 54) avec un extrait traduit du véritable texte. Le ton est-il le même ? Quels effets le dessinateur a-t-il ajoutés ?
Activité 2 : Cui Bono ? Mener l’enquête
Objectif : Appliquer un principe de logique juridique et analyser une argumentation.
Déroulement :
- Concentrez-vous sur le Chapitre 1 : L’affaire Sextus Roscius.
- En classe entière ou en petits groupes, demandez aux élèves de remplir une « fiche d’enquête » :
- Le crime : Qui a été assassiné ?
- L’accusé : Qui est officiellement accusé du meurtre ?
- Le mobile de l’accusé : Quel mobile est prêté à l’accusé ?
- La question de Cicéron : Quelle est la question clé que pose Cicéron pour trouver le vrai coupable ? (À qui profite le crime ?)
- Les vrais bénéficiaires : Identifiez les personnages qui tirent un profit de ce crime. (Ex: Chrysogonus qui rachète les fermes pour 2 000 sesterces alors qu’elles en valent six millions) .
- Discussion : Comment cette simple question permet-elle à Cicéron de renverser complètement la situation ? Est-ce une technique encore utilisée aujourd’hui dans les enquêtes policières ou les procès ?
Activité 3 : Débat au Sénat – Sauver la République
Objectif : Reconstituer un débat historique et réfléchir à un dilemme moral et juridique.
Déroulement :
- Replongez dans le Chapitre 5 et la scène du débat au Sénat sur le sort des conjurés (p. 58-59).
- Assignez des rôles à des élèves volontaires :
- Cicéron : Il demande au Sénat de prendre une décision forte pour sauver l’État.
- Jules César : Il plaide pour le respect de la loi, qui interdit la mise à mort d’un citoyen sans procès, et propose l’exil.
- Caton : Il réclame une sévérité exemplaire et la peine de mort, au nom de la « coutume des ancêtres ».
- Les autres élèves jouent les sénateurs qui écoutent et posent des questions avant de voter.
- Après le débat, la classe vote (à main levée) pour la mort ou l’emprisonnement/exil.
- Discussion finale : La décision du Sénat (et de la classe) était-elle juste ? Un État peut-il ignorer ses propres lois en cas de crise majeure ? Quelles pourraient être les conséquences d’une telle décision ?
Activité 4 : Rome en 2025 – L’art de l’anachronisme
Objectif : Analyser un choix artistique et réfléchir à la portée universelle des thèmes abordés.
Déroulement :
- Demandez aux élèves de relever dans toute la bande dessinée 5 à 10 éléments qui ne sont pas de l’époque romaine (ex: voitures, téléphones, gratte-ciels, vêtements, etc.).
- Lancez la discussion :
- Pourquoi l’auteur et le dessinateur ont-ils fait ce choix ?
- Est-ce que cela rend l’histoire plus facile ou plus difficile à comprendre ?
- En quoi ces thèmes romains sont-ils toujours d’actualité ?
- Atelier d’écriture/création : Par deux, les élèves choisissent un thème du livre (corruption [Chapitre 2], complot contre la démocratie [Chapitre 4], ambition politique [Chapitre 3], justice [Chapitre 1]) et trouvent un exemple dans l’actualité récente qui y fait écho. Ils présentent cette comparaison à la classe.
Voici un exercice en latin sur les pages 54 et 55 du livre ;