En tant qu’enseignants, nous cherchons souvent des objets qui peuvent servir de « portes d’entrée » vers des mondes disparus. L’artefact que nous explorons aujourd’hui est l’un d’entre eux. À première vue, c’est un bol. Mais regardez plus bas : il marche.

Lorsqu’on évoque l’art égyptien, on pense immédiatement aux pyramides, aux hiéroglyphes et aux masques d’or des pharaons. Pourtant, bien avant l’unification de l’Égypte, une culture complexe posait déjà les fondations de cette civilisation : la culture de Nagada.

Ce bol en céramique reposant sur deux pieds humains est l’un des témoignages les plus étonnants et « modernes » de cette période fondatrice.

L’objet : Une céramique pas comme les autres

Ce bol en terre cuite rouge polie, aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum of Art de New York (MET, N° 10.176.113), est daté de la période Nagada I (phase tardive) à Nagada II, soit environ 3700 à 3450 avant J.-C.

Nous sommes donc plus de 1000 ans avant la construction de la première pyramide.

À première vue, la coupe hémisphérique est typique de la production de cette époque, connue sous le nom de « Red polished ware » (poterie rouge polie). C’est un type de céramique très fin, fabriqué à partir d’argile du Nil et soigneusement poli avant cuisson pour lui donner cet aspect lustré.

Mais ce qui rend cet objet exceptionnel, ce sont ses supports. Au lieu d’un fond plat ou arrondi, le bol est soutenu par deux pieds humains, modelés avec un naturalisme remarquable.

Le contexte : Qu’est-ce que la culture de Nagada ?

La culture de Nagada (env. 4000 – 3100 av. J.-C.) se développe en Haute-Égypte (le sud du pays) durant la période prédynastique. Elle est cruciale car elle voit l’émergence :

  • D’une hiérarchie sociale ;
  • D’une élite qui accumule des biens de prestige ;
  • De centres urbains comme Hiérakonpolis et Nagada ;
  • Des prémices de l’écriture hiéroglyphique.

La grande majorité des objets que nous possédons de cette culture, y compris ce bol, proviennent de contextes funéraires. Les défunts étaient inhumés dans des fosses, entourés d’offrandes (poteries, palettes à fard, outils) destinées à les accompagner dans l’au-delà.

Interprétations : Pourquoi des pieds ?

L’extrême rareté de ce type de support nous pousse à nous interroger sur sa signification. Bien qu’aucune certitude n’existe, les égyptologues ont formulé plusieurs hypothèses fascinantes :

  1. Le bol « porteur » (l’hypothèse jnj) L’interprétation la plus répandue lie cet objet au futur signe hiéroglyphique jnj, qui signifie « apporter » ou « porter » et qui est représenté par un homme portant un récipient. Le bol ne serait pas un simple contenant passif, mais un acteur du rituel. Il « marche » symboliquement pour apporter l’offrande (nourriture ou boisson) au défunt. Le fait que le bol soit légèrement incliné vers l’avant, comme pour présenter son contenu, renforce cette idée.
  2. Le symbole de la purification (l’hypothèse wˁb) Une autre interprétation associe les pieds au concept de « propreté » ou de « purification ». Le futur hiéroglyphe wˁb (« pur ») peut être représenté par un vase d’où s’écoulent des flots d’eau. Ce bol aurait pu être utilisé pour des libations d’eau lustrale, et les pieds symboliseraient l’acte de s’avancer pour purifier le défunt ou le lieu de la sépulture.
  3. L’anthropomorphisme pur Plus simplement, en donnant des pieds humains à l’objet, l’artisan lui insuffle la vie. L’offrande devient animée, un compagnon magique pour le mort dans son voyage éternel.

Une fenêtre sur la pensée prédynastique

Ce bol sur pieds est bien plus qu’une curiosité esthétique. Il est la preuve matérielle de la complexité de la pensée symbolique et rituelle à l’aube de la civilisation égyptienne.

Il nous montre que, bien avant la standardisation de l’art pharaonique, les artisans de Nagada faisaient preuve d’une immense créativité pour donner forme à leurs croyances sur la vie, la mort et le passage vers l’au-delà. C’est un objet qui, du haut de ses 5500 ans, nous rappelle que l’innovation et le symbolisme sont au cœur de l’expérience humaine.


Pour vos élèves / Pour aller plus loin :

Question de réflexion : comparez cet objet avec un objet rituel que nous utilisons aujourd’hui (par exemple, un calice, une coupe de mariage). Quelles sont les similarités et les différences dans la façon dont nous donnons du sens à un récipient ?

Mots-clés à retenir : Égypte Prédynastique, Culture de Nagada, Poterie rouge polie, Rituel funéraire, Anthropomorphisme.

Muséographie : cet objet est visible au Metropolitan Museum of Art (New York). Sa présence dans un grand musée permet de discuter de l’acquisition d’antiquités au début du 20e siècle (il a été acheté à Louxor en 1910).

3D : j’ai créé un modèle 3D à imprimer pour ce bol.

https://cults3d.com/:3621538