
Ces noms qui ont changé de genre
Le genre des noms n’a pas toujours été fixé en français. Certains mots, aujourd’hui masculins ou féminins sans contestation, ont connu dans le passé une hésitation, parfois longue. Dans d’autres cas, le genre ancien subsiste encore dans certaines expressions.
Voici quelques exemples parlants, où l’histoire du genre grammatical révèle la vitalité et la souplesse de la langue française.
Affaire : du masculin au féminin
En ancien français, affaire s’utilisait souvent au masculin. Ce n’est qu’au XVe siècle que le féminin s’est définitivement imposé. Aujourd’hui, il serait inimaginable de dire un affaire.
Alvéole : féminin avant de redevenir masculin
Emprunté en 1519 au latin alveolus (masculin), alvéole est d’abord employé au féminin. Par la suite, l’usage a « rectifié » le tir et ramené le mot à son genre d’origine. Aujourd’hui, on dit donc un alvéole.
Automne : un genre hésitant
Bien que provenant d’un nom latin masculin (autumnus), automne était employé au féminin au Moyen Âge. Sans doute la terminaison en -e muet favorisait-elle cette lecture. Le masculin commence à s’imposer au XIIIe siècle mais ne triomphe qu’à partir du XVIe.
Crabe : masculin ou féminin ?
Le nom vient du moyen néerlandais crabe, qui existait aux deux genres. Entré en français en 1119, il a connu plusieurs formes (crabe, grappe, crape, crap, crampe), employées tantôt au masculin, tantôt au féminin. C’est seulement en 1762, avec l’édition du Dictionnaire de l’Académie française, que le crabe est fixé définitivement au masculin.
La cuillère : un masculin devenu féminin
Attesté dès 1050 sous la forme culier, le mot était masculin. Vers la fin du XIIe siècle, il devient féminin (la cuiller), puis prend sa forme moderne cuillère. Un changement de genre qui n’a pas empêché nos ancêtres de savourer leur soupe !
Dent : masculin avant de devenir féminin
Jusqu’au XIVe siècle, on trouve dent au masculin, calqué sur son modèle latin (dens, dentis, masculin). Progressivement, l’usage féminin l’emporte et s’impose, jusqu’à aujourd’hui.
Mensonge : d’abord féminin
Jusqu’au XVIIe siècle, mensonge est féminin. Il passe ensuite au masculin, probablement sous l’influence de songe, mot avec lequel il était fréquemment associé en littérature médiévale et renaissante.
Poison : un féminin encore vivant dans l’argot
Du XIIIe au XVIe siècle, poison se rencontre au féminin avec ses deux sens : « substance mortelle » et « chose dangereuse ». Aujourd’hui, le féminin ne subsiste que dans un emploi familier pour qualifier une femme déplaisante : quelle poison !.
Steppe : de la Russie au changement de genre
Emprunté au russe step en 1679, le mot est d’abord masculin. Ce n’est qu’au XXe siècle que le féminin s’impose. Aujourd’hui, on ne dit plus que la steppe.
Autres exemples intéressants
- Cartilage : longtemps masculin (le cartilage), mais certains textes médiévaux le donnent aussi au féminin.
- Après-midi : a conservé les deux genres ; les dictionnaires reconnaissent encore aujourd’hui un après-midi et une après-midi.
- Enzyme : employé d’abord au masculin au XIXe siècle, le mot est devenu féminin sous l’influence de l’anglais et du grec.
- Orgue : généralement masculin au singulier (un grand orgue), mais féminin au pluriel dans certaines locutions (de belles orgues).
- Amour : masculin au singulier (un grand amour), il devient souvent féminin au pluriel (de belles amours), surtout en poésie.
Le genre grammatical des mots n’est pas figé une fois pour toutes : il résulte de l’histoire, de l’usage, de l’influence d’autres mots et parfois même… d’une simple terminaison en -e. Ces glissements rappellent que la langue française a longtemps hésité avant de stabiliser certaines formes et que, même aujourd’hui, des mots comme après-midi ou amourgardent une certaine ambivalence.
Mot | Genre ancien | Genre actuel | Période de changement | Remarque |
---|---|---|---|---|
Affaire | Masculin | Féminin | XVe siècle | Oscillait avant de se fixer au féminin. |
Alvéole | Féminin | Masculin | XVIe – XVIIe siècles | Alignement sur le genre latin (alveolus). |
Automne | Féminin | Masculin | XIIIe – XVIe siècles | Féminin dû au -e final ; masculin latin a fini par s’imposer. |
Crabe | Masculin etféminin | Masculin | XVIIIe siècle (Académie 1762) | Hérité du moyen néerlandais crabe, qui avait les deux genres. |
Cuillère(culier) | Masculin | Féminin | XIIe siècle | Changement de genre tôt fixé. |
Dent | Masculin | Féminin | XIVe siècle | Genre latin masculin (dens) → bascule en français au féminin. |
Mensonge | Féminin | Masculin | XVIIe siècle | Probable influence de songe (masculin). |
Poison | Féminin | Masculin (sauf en argot : quelle poison !) | XVIe siècle | Féminin subsistant dans l’usage populaire/argotique. |
Steppe | Masculin | Féminin | XXe siècle | Emprunt au russe step, masculin ; le français a féminisé. |
Cartilage | Parfois féminin | Masculin | Moyen Âge → fixée moderne | Hésitation médiévale, puis masculin stabilisé. |
Après-midi | Les deux genres | Les deux genres | Toujours fluctuant | Les dictionnaires acceptent masculin et féminin. |
Enzyme | Masculin | Féminin | XIXe siècle | Influence du grec (enzymē, féminin) et de l’anglais. |
Orgue | Masculin singulier | Féminin pluriel (dans certaines locutions) | Moyen Âge → moderne | Particularité encore vivante : un grand orgue / de belles orgues. |
Amour | Masculin singulier | Féminin pluriel (souvent) | Usage poétique médiéval → actuel | Exemple classique d’ambivalence de genre. |