Quelques étymologies amusantes

L’étymologie réserve souvent des surprises : un mot banal peut cacher une histoire ancienne, un détour culturel, une anecdote historique ou même une erreur de transmission. Voici un parcours à travers quelques mots dont l’origine est à la fois inattendue et fascinante.


Avion : un oiseau mécanique

En 1890, l’ingénieur Clément Ader invente un « appareil ailé pour la navigation aérienne ». Pour nommer son engin, il choisit le latin avis (« oiseau ») et lui ajoute un suffixe français en -on. Le mot avion est donc né avant même que l’aviation ne connaisse ses véritables débuts avec les frères Wright quelques années plus tard.
Fait étonnant : l’« avion » d’Ader n’a pas réellement volé comme un appareil moderne, mais le mot, lui, a pris son envol et s’est imposé dans toutes les langues.


Boucher : le bouc avant la viande

On pourrait croire que le boucher a toujours été le « marchand de viande ». Pourtant, le mot vient de bochier, attesté vers 1180, et désignait celui qui abattait… des boucs. Le métier consistait donc d’abord à tuer un animal précis. Dès 1220, le sens s’élargit à tous les vendeurs de viande, et le lien avec le bouc s’effaça.
Cette origine rappelle que les noms de métiers étaient souvent liés à un animal ou à une tâche précise avant de prendre un sens plus large.


Chandail : un vêtement né d’un marché

Le mot apparaît dans les Halles de Paris au XIXe siècle. Les marchands d’ail interpellaient la foule en criant « Marchand d’ail ! ». L’expression se contracta en chandail. Très vite, le mot en est venu à désigner le tricot de laine épais que portaient ces marchands pour se protéger du froid.
Étonnant renversement : un légume a donné son nom à un vêtement devenu indispensable dans les garde-robes d’hiver.


Cimetière : un dortoir éternel

Le terme vient du grec koimêtêrion, repris en latin sous la forme cimiterium. Il signifiait littéralement « lieu où l’on dort ». L’image du repos éternel, présente dans de nombreuses traditions religieuses, s’exprime donc directement dans le mot lui-même.
Le cimetière n’est pas seulement un lieu d’enterrement : c’est avant tout, étymologiquement, un dortoir.


Concubin et concubine : un couple tardif

Le mot concubine est attesté dès 1213 et vient du latin concubina, formé sur concumbere (« coucher avec »). Fait rare : le masculin, concubin, n’existait pas encore. Il fut créé à partir du féminin, seulement au XIVe siècle.
C’est un cas intéressant de construction asymétrique : on a commencé par nommer la femme avant d’inventer le mot pour l’homme.


Copain : celui qui partage le pain

En ancien français, compain signifiait compagnon. Le terme a connu plusieurs formes : coppin au XVe siècle, copin en 1708, puis copain en 1838.
Le mot vient du bas latin companio, formé de cum (« avec ») et panis (« pain »). Le copain est donc celui avec qui l’on partage le pain. Ce lien étymologique explique pourquoi, aujourd’hui encore, l’idée d’amitié et de convivialité se rattache si bien à ce mot.


Cravate : un souvenir de Croates

Au XVIIe siècle, des cavaliers croates intégrés dans l’armée française portaient un foulard blanc noué autour du cou. Cette mode, inconnue en France, impressionna et inspira. On appela cet accessoire une « cravate », mot issu de « Croate ».
En 1649, cravate désignait déjà un foulard, tandis que le terme « Croate » se fixa peu après pour désigner le peuple. L’objet a gardé le nom, mais pas l’origine.


Divan : du conseil au canapé

Le mot vient du persan diwan, « registre » ou « conseil », passé en turc sous la forme diovan. En français, il désigne d’abord, au XVIe siècle, le « jour d’audience du sultan », puis la « salle de conseil », et enfin le siège que l’on trouvait dans ces lieux.
Ainsi, le mot est passé de l’abstraction (la réunion), au lieu (la salle), puis à l’objet (le meuble).


Échalote : l’oignon d’Ascalon

Son origine se trouve dans le latin ascalonia cepa, « oignon d’Ascalon », ville de Palestine assiégée en 1099 par les Croisés. Importée en Europe après cette campagne, la plante donna naissance au mot français.
La première forme française, échalonge, devint eschalote vers 1500. Derrière nos vinaigrettes se cache donc une histoire de croisade.


Enfant : le muet

En ancien français, enfant vient du latin infans, littéralement « qui ne parle pas ». Le terme désignait d’abord le bébé incapable de s’exprimer, avant de devenir le nom générique pour les plus jeunes.
C’est un bel exemple de mot né d’un défaut (l’absence de langage), devenu une catégorie entière de personnes.


Faon : un petit fœtus

Le mot est issu du latin foetus, qui signifie « enfantement » et « nouveau-né animal ». En français, faon a d’abord désigné le petit de n’importe quel animal, puis, à partir du XIIe siècle, spécifiquement celui de la biche.
L’étymologie rappelle donc le lien direct entre faon et fœtus.


Foie : un goût de figues

Le bas latin ficatum (« foie engraissé aux figues ») vient de ficus (« figue »). Les Romains nourrissaient les oies avec des figues pour obtenir un foie gras. Le mot a fini par désigner le foie en général, et non plus seulement celui engraissé.
Notre foie actuel conserve donc la trace d’un mets raffiné de l’Antiquité.


Fruste : du métal usé à l’homme rustre

D’abord emprunté à l’italien frusto, « usé », fruste qualifiait une monnaie ou une pierre abîmée. Au XIXe siècle, le sens s’étend au caractère humain et en vient à signifier « grossier, inculte ».
L’influence du mot rustre a probablement renforcé cette évolution.


Garce : une fille ordinaire devenue insulte

Le mot garce est d’abord le simple féminin de garçon, attesté vers 1165. Il désigne alors une « jeune fille », sans nuance péjorative. Au XIIIe siècle, un autre sens apparaît : « femme débauchée ». Ce dernier l’a emporté et a effacé l’usage neutre.
Ainsi, un mot banal est devenu une insulte durable.


Loufoque : une invention de bouchers

Au XIXe siècle, les bouchers parisiens inventent un argot, le loucherbem. Le principe : déplacer la première consonne d’un mot à la fin, la remplacer par un « l » et ajouter -em ou -erb. Boucher devient loucherbemfou devient louf, et loufoque apparaît peu après.
Un jargon professionnel a donc donné naissance à un adjectif courant.


Malotru : le poids des étoiles

Issu du latin male astrucus (« né sous une mauvaise étoile »), le mot signifiait au XIIe siècle « malheureux ». Un siècle plus tard, il prend le sens de « grossier, balourd ».
Le destin et le caractère sont ainsi liés par une même étymologie.


Manchot : parent de « manquer »

Le mot vient du latin mancus, « estropié ». Il a pris la forme mang, puis menchot au XVIe siècle, avant de devenir manchot.
Étonnamment, il appartient à la même famille que manquer, avec l’idée commune de privation.


Marionnette : une petite Marie

Au Moyen Âge, les figurines de la Vierge Marie étaient appelées marioles. Leur diminutif, mariolette, a évolué en marionnette au XVIe siècle.
Le mot garde donc la trace d’un objet religieux devenu jouet.


Mélancolie : la bile noire

Du grec melankholia (melas = « noir », kholé = « bile »). Selon la théorie antique des humeurs, la mélancolie était causée par un excès de bile noire produite par la rate.
Le sens psychologique moderne garde l’empreinte de cette conception médicale dépassée.


Morbide : maladif, non mortel

Issu du latin morbidus (« malade »), le mot signifiait au XVe siècle « maladif ». Ce n’est que par rapprochement populaire qu’il a été associé à « mort ». Au XIXe siècle, il prend le sens de « malsain », que nous lui donnons encore.


Porcelaine : une coquille de truie

Le mot italien porcellana désignait un coquillage, par analogie avec la vulve d’une truie (porcella). Le mot a ensuite été appliqué à une céramique fine, dont l’aspect brillant rappelait la nacre.
Un mot surprenant, qui illustre comment une ressemblance peut orienter l’étymologie.


Potron-minet : de l’écureuil au chat

À l’origine, on disait « dès le poitron-jaquet », c’est-à-dire « dès que l’on voit le derrière de l’écureuil » — autrement dit, très tôt le matin. Au fil du temps, l’écureuil (jaquet) a été remplacé par le minet (le chat), donnant l’expression « dès potron-minet ».


Sieste : la sixième heure

Le mot vient du latin hora sexta, « sixième heure du jour », soit midi. C’est à ce moment de la journée que l’on se reposait, surtout dans les régions chaudes. L’espagnol siesta en a conservé la forme, et le français l’a emprunté.


Vaillant : un participe recyclé

Le participe présent du verbe valoir était autrefois vaillant. Au fil du temps, il est sorti du système verbal et est devenu un adjectif signifiant « courageux, plein de valeur ».


Boutique : un héritage grec

Issu du grec apothêkê (« dépôt, magasin »), passé par le provençal botiga, le mot a donné boutique. L’« apothicaire », qui désignait à l’origine un gardien de magasin, appartient à la même famille.
Notre « petite boutique » moderne conserve donc la mémoire d’un dépôt antique.


Gitan : un faux Égyptien

Le mot vient de l’espagnol Egiptano, « Égyptien », car on croyait que les Gitans venaient d’Égypte. Transformé en gitano, puis en gitan en français, le mot illustre une erreur d’origine devenue une identité linguistique.


Griotte : une cerise déformée

L’ancien provençal agriota désignait une variété de cerises. Le mot, emprunté en français, devint agriotte. Mal compris, il se transforma en griotte.
Une simple confusion a donné un nom qui parfume aujourd’hui nos clafoutis.


Ma mie : une tendre coupure

Le mot est né d’une fausse segmentation : « m’amie » est devenu « ma mie ». Il désignait une femme aimée, une « chérie ». Aujourd’hui vieilli, il conserve un charme poétique qui fait sourire les lecteurs de littérature ancienne.

Bidet et bidoche

À l’origine de cette famille se trouve le verbe d’ancien français bider, « trotter », attesté au XVe siècle, qui donna le nom bidet, « petit cheval » (1564). Presque deux siècles plus tard, en 1739, bidet prend le sens métaphorique de « meuble de toilette », et en effet : pour utiliser un bidet, on s’assoit dessus comme sur un cheval. Mais ce n’est pas tout : au début du XIXe siècle, les noms dérivés de bidet, « petit cheval », que sont bidoche, « cheval de bois », et bidoque, « vieux cheval », sont présents dans des glossaires normands. Plus tard, en 1844, bidoche accède au français général et prend le sens de « viande » et de « mauvaise viande ». La raison en est simple : durant la première partie du XIXe siècle, la consommation de viande de cheval a très mauvaise réputation car, dans l’esprit du peuple, elle est associée à la pauvreté. Une mauvaise viande ne peut donc être qu’une bidoche, c’est-à-dire du cheval.

Bouge et budget

Attesté vers la fin du XIIe siècle, le nom bouge avait le sens de « valise, coffre, sac ». Il produisit d’abord un dérivé diminutif, bougette, « petit sac de cuir ». Bougette traversa la Manche et prit chez nos voisins anglais la forme budget : dans un texte de 1432, il signifie « sac de cuir », puis plus tard, en 1733, « moyens financiers », sens que nous lui connaissons. Toutefois, ayant probablement le mal du pays, budget revint en France en 1764, avec cette même signification.

Bouse et bousiller

Le nom bouse, « excrément de vache », est un terme ancien, puisqu’on le relève dès le début du XIIe siècle. Bouse était d’usage courant, mais il faudra attendre l’année 1554 pour rencontrer son verbe dérivé bousiller, qui avait alors les sens de « construire en torchis ». En tant que matériau, le torchis était assimilé à la bouse. Plus tard, en 1690, le participe passé bousillé est attesté avec les sens de « fait de mauvais matériaux » et de « mal fait ». Le sens de « gâcher, abîmer » s’imposa dès lors, et c’est le sens donné par l’Académie française à bousiller dans son dictionnaire de 1694. Par euphémisme, bousiller prendra ultérieurement le sens de « tuer », relevé en 1897.

Chicane, chiche « avare », chiche !, chichi, chicot et ricaner

La racine onomatopéique tchitch-, qui exprime la petitesse, a donné l’adjectif chiche, « avare », daté de 1165. Chiche est présent dans l’expression « (ne pas) être chiche de faire quelque chose », autrement dit « (ne pas) être avare de ses efforts ». C’est de cette expression qu’est née l’interjection chiche !, attestée en 1866. La racine tchitch- a aussi produit chicot, « morceau de branche » puis « dent abîmée », et chichis, « manières », en 1886. Enfin, tchitch- s’est uni à ricaner, attesté au XIVe siècle avec le sens de « braire », et a produit chicaner, « chercher querelle », verbe tombé en désuétude mais dont le dérivé chicane est resté vivace.

Chiffe, chiffon, chipper, chipie, chipoter et chips

Ce mot anglais chip, « petit morceau », attesté vers 1300, donna en français chipe, « chiffon », en 1306. De là naquirent de nombreux dérivés : chipoter, « manger par petits morceaux » (1680) ; chipier, « voler quelque chose de peu de valeur » (1759), qui donna chipie (1821), et enfin chiffon (1609). Pendant ce temps, l’anglais chip évolua vers le sens moderne : en 1769, « fine tranche d’aliment », puis en 1859 « fine tranche de pomme de terre ». Ainsi naquirent les chips, que l’on mange en s’essuyant les doigts sur un chiffon !

Cloche, cloque et o’clock

Le nom cloche, « instrument à percussion », prit en normanno-picard la forme cloque, qui eut plusieurs sens : « boursouflure sur les feuilles d’arbres » en 1750, « boursouflure dans le verre » en 1848, et « ampoule sur la peau » en 1866. L’argot adopta cloque : par une métaphore compréhensible, il forma l’expression « en cloque », « enceinte » (1901). Mais les mots voyagent : en Hollande, cloque devint klokke, puis clock en anglais, d’où naquit o’clock, attesté en 1720.

Complot, pelote et peloter

Le nom pelote (1140) a signifié successivement « boule (de métal) », « objet sphérique », « boule de fils enroulés », puis « groupe de personnes ». Il donna peloter, « lancer », puis « jouer à la balle ». Dès le XIXe siècle, peloter prit le sens familier de « caresser une femme ». Avec le préfixe com-, il forma complot (XIIe siècle), « foule compacte » puis « accord secret ».

Dérober, robe, roupette et roupiller

Le nom germanique *rauba, « butin », est à l’origine de robe (1155), puis dérober (1160), « voler ». Avec les Wisigoths, rauba donna ropa, « hardes », et plus tard roupille, « vêtement ample », d’où le verbe roupiller (1597), « dormir ». Au XVIIIe siècle, roupille donna aussi roupette, « testicules » (1779).

Maquereau « proxénète » et maquiller

Le verbe néerlandais maken, « faire », donna en picard maquier (1250). De là vinrent maquiller, « farder » (1840), et maquereau, « proxénète », attesté en 1269, à partir de makelare, « courtier ».

Abajoue, grenouille et lendemain

Abajoue, « poche entre la joue et la mâchoire de certains animaux », a donné la fausse coupure l’abajoue. De même, alèse vient de laize ; dinde vient de poule d’Inde. Grenouille vient du latin ranunculus, « petite grenouille », qui devint renoille puis grenouille (1503). Enfin, lendemain vient de endemain, formé de en et demain.

Licorne, luth et mamours

Licorne vient de l’italien alicorno (1674), qui donna licorne. Luth vient de l’arabe al-ud (1380). Mamours vient de m’amour, « mon amour », forme ancienne de mon amour.

Nombril, omelette et tante

Nombril vient de umbilil, devenu numbil, puis nombril par transformation populaire. Omelette vient de lame > lamelle > alumelle > amelette > omelette. Tante vient de ante, précédé de t’ante, c’est-à-dire « ta tante ».