Des h à couper le souffle

Huile est tout d’abord écrit oile vers 1150. Il provient du latin oleum, « huile d’olive » et « huile en général ». Pour ne pas le confondre avec vile, il gagna un h initial.

Huis vient du bas latin ustium, dérivé du nom de latin classique ostium, « entrée, ouverture ». Il est attesté vers 1050 avec la forme us, ce qui en fait un tout petit mot. Us fut ensuite graphié vis. Pour éviter qu’il ne soit mal lu et confondu soit avec vis, « petit outil », soit avec vis, « visage », on lui adjoignit à lui aussi un h initial.

Huit vient du latin octo ; il est attesté sous la forme oit vers 1130. Il prit ensuite la forme vit et, pour empêcher la prononciation vit ou vite, il s’enrichit d’un h.

Dérivé du latin ostrea, huître s’écrit d’abord oistre vers 1270. Cette forme fut en usage jusqu’au début du XVIIe siècle, mais, dès le XVe siècle, on écrivit aussi huistre. Son h initial servit à le distinguer de vitre.

Petit bonus !
Comme si les choses étaient trop simples, il se trouve par ailleurs que la lettre i symbolisait à la fois nos i et j actuels. C’est pourquoi l’adverbe hier, qui s’écrivait ier vers l’an 1100, a été graphié hiér à la fin du XIIe siècle, afin que son i ne soit pas prononcé comme le j de jeu.

Des h pour toutes sortes de raisons

Présent en français depuis environ l’an 1100, hérisson dérive du latin ericius, de même sens. Hérisson est tout d’abord la forme « eriz », puis on l’enrichit en deux étapes : à l’aide du suffixe -on dans un premier temps, ensuite avec un h initial, probablement d’origine expressive. Le hérisson était prêt à se ruer sur les insectes du jardin.

Heur, « présage », qui vient du latin augurium, de signification identique, s’est d’abord écrit úr (vers 1120), eur (vers 1170), puis eur. Mais, confondu avec son homophone heure, eur s’est vu adjoindre un h à l’initiale, alors qu’il vivait très bien avec ses trois petites lettres.

D’abord écrit uller au XIIe siècle puis hurler, hurler vient du latin ululare, de même sens. Le h initial, absent du verbe latin d’origine, témoigne ici aussi d’une volonté d’expressivité.

Mais aussi des h très utiles

Anciennement, les lettres u et v transcrivaient indifféremment le son /y/ de sur et le son /v/ : les formes uile et uile pouvaient toutes deux représenter aussi bien huile que vile, féminin de l’adjectif vil. Il fut donc décidé d’ajouter un h au début des mots qui commençaient par le son /y/ afin de les distinguer de ceux qui commençaient par le son /v/ : vile, « huile », devint donc huile ; vit, « huit », prit la graphie huit ; vis devint huis quand cette forme transcrivait huis, « porte », et non vis, « petit outil », etc. On notera que ce h, qui n’est donc pas étymologique, est presque toujours muet, sauf dans le composé huis clos, puisqu’on dit le huis clos.

Péril en la demeure

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le nom demeure ne signifie pas ici « maison ». Pour bien comprendre cette locution, il faut se référer aux premiers sens de demeure, qui étaient « une certaine durée » puis « retard ». De ce fait, les choses sont claires : il y a péril en la demeure signifie « il y a risque de préjudice si l’on prend du retard dans une affaire ». On est donc sauvés : la maison n’est pas en danger, elle ne va pas s’écrouler.

Le gîte et le couvert

Le nom couvert a tout d’abord eu le sens de « logement, abri ». Mais, depuis le XVe siècle, couvert nomme surtout les ustensiles employés pour manger. De ce fait, l’expression originelle le vivre et le couvert, littéralement « la nourriture et le toit », a été comprise comme « la nourriture et la vaisselle », voire « la nourriture et la nourriture » : on s’est alors dit qu’il y avait là pléonasme, et on a transformé cette locution en le gîte et le couvert. Naturellement, il vaut bien mieux utiliser la première forme.

Courir sur le haricot

Cette expression, qui signifie « importuner fortement », n’a rien à voir avec le légume originaire d’Amérique du Sud. Au XIXe siècle, le nom haricot signifiait « orteil » en argot. Il faut donc comprendre courir sur l’orteil. Cela peut étonner, mais ne dit-on pas casser les pieds ?

Mettre les pieds dans le plat

Cette locution, dont le sens est « aborder malencontreusement un sujet sensible », ne doit bien sûr pas être prise littéralement : il n’est ici question d’aucun élément de vaisselle. En voici l’explication : au XIXe siècle, le nom plat désignait une étendue d’eaux basses dont le fond était boueux ; y mettre un pied avait pour conséquence de troubler la clarté de l’eau de surface, car on la mélangeait ainsi avec la boue. La métaphore est donc claire, si l’on peut dire : quand on aborde un sujet délicat qu’il conviendrait d’éviter, on trouble la tranquillité de son entourage.

Tomber dans le panneau

Cette expression, qui signifie « se faire piéger », n’a évidemment rien à voir avec un quelconque élément de signalisation routière ni avec tout autre moyen d’affichage. Anciennement, panneau nommait un filet tendu afin de piéger et capturer les petits animaux sauvages ; tout cela est très ancien, car panneau, « filet », est attesté en 1285. Cette signification a disparu, mais l’expression est restée, avec l’emploi métaphorique que nous lui connaissons.

Se mettre en rang d’oignons

Longtemps, on a pensé que cette locution, qui signifie « se placer sur une même ligne, à la file », provenait de la façon dont les paysans attachaient les oignons ensemble, du plus gros au plus petit. Or il n’en est rien. Oignons ne se réfère pas au légume bien connu, mais à une personne : il s’agit du nom d’un maître de cérémonies du XVIe siècle, Artus de la Fontaine Solaro, baron d’Oignon, qui, sous Henri II, était chargé d’attribuer les places aux différents seigneurs et députés de l’époque. Il faudrait donc écrire se mettre en rang d’Oignon, c’est-à-dire se placer selon un agencement conforme aux prescriptions d’Oignon.

Être au bout du rouleau

Au Moyen Âge, les textes des comédiens étaient écrits sur un rôle, c’est-à-dire sur un parchemin constitué de plusieurs feuilles collées entre elles et roulé sur lui-même. Les acteurs qui n’avaient que quelques répliques à dire se voyaient attribuer un rôle de petite taille, que l’on appelait rollet. De ce fait, l’expression être au bout du rôle, « ne plus trouver quoi que ce soit à dire », signifiait « être à bout de ressources ». C’est avec ce dernier sens que l’expression a survécu, sous la forme être au bout du rouleau, dans laquelle rouleau est un diminutif de rôle. La pérennité de cette locution a par ailleurs été favorisée par le fait que les pièces de monnaie étaient conservées dans des rouleaux de papier, comme cela se fait toujours.

Avoir le diable à ses trousses

Non, le Malin ne s’intéresse pas au petit étui dans lequel on transporte stylos et matériel d’écriture divers. S’il est vrai que les sens les plus anciens de trousse sont « paquet », « valise », puis « étui », le XVIe siècle vit apparaître celui de « sorte de chausses », les chausses étant des jambières pour hommes, qui couvraient le corps de la taille aux genoux, voire de la taille aux pieds. Ainsi, le diable qui se colle aux trousses doit être compris comme se collant aux chausses.