Calomnie et challenge

La calomnie, cela n’a rien de noble, et s’y livrer ne doit pas être considéré comme un challenge respectable. Certes, mais il se trouve que calomnie et challenge sont cousins. Étonnant ? Voyons cela. Au XIVe siècle, calomnie a été emprunté au latin calumnia, « fausse accusation ». Au début de ce même XIVe siècle, le nom anglais challenge est attesté avec le sens de « accusation, provocation ». Or, challenge n’est rien d’autre qu’un emprunt de l’ancien français chalenge, « chicane, défi », qui remonte pour sa part au XIIe siècle et qui vient lui aussi de calumnia. Honni soit qui mal y pense.

Chèvre et crevette

Très ancien en français puisqu’il est attesté en 1119, le nom chèvre vient du latin capra, féminin de caper, « bouc ». Jusque-là, rien de très logique. Chèvre eut en diminutif, chevrette en l’occurrence, qui prit en normand-picard la forme crevette, attestée en 1532. Toujours rien de paranormal. Or le crustacé que l’on déguste volontiers avec de l’avocat s’est vu attribuer ce nom de crevette. Pourquoi ? L’explication est simple : les petits sauts de la crevette rappelaient ceux de la chèvre, il sembla normal à nos ancêtres de l’appeler ainsi. Au demeurant, certaines comparaisons sont pour le moins hardies.

Chiffre et zéro

Le nom chiffre a une histoire intéressante : au XIIIe siècle, il signifiait « zéro », ce à quoi on ne se serait pas attendu ; il fallut attendre 1485 pour qu’il signifia « signe qui sert à représenter les nombres » (on notera qu’il prit aussi le sens de « écriture secrète » en 1497). Au demeurant, chiffre est un emprunt à l’arabe sifr, « zéro », qui explique le premier sens du nom français. Ensuite, chiffre a nommé non seulement le zéro, mais aussi toutes les autres figures du système numérique.

Attesté en français en 1485 avec le sens que nous lui connaissons toujours, zéro, pour sa part, est un emprunt à l’italien zero, « zéro » et « rien ». Ce qui est remarquable, c’est que le zéro italien est une altération du nom zefiro, lui aussi italien, issu du latin médiéval zephirum, emprunté à l’arabe… sifr, « zéro » !

Confisquer et fisc

Payer des impôts n’est pas une activité récente, puisque le nom latin fiscus, qui signifiait à l’origine « panier à argent », prit à date ancienne le sens de « fisc, cassette impériale ». Fiscus passa en français, où il est attesté en 1278 avec la forme fisque. Ensuite, il devint fisc, mais cela ne changeait rien, il fallait payer. Et le même fiscus donna, déjà en latin, le verbe confiscare, littéralement « faire entrer dans le trésor impérial ». Le français l’emprunta en 1331, et confisquer fit son entrée dans notre langue. Le fisc confisque notre argent, mais on le savait déjà.

Enfant, fable et fée

Le nom enfant est très ancien, puisqu’il est attesté vers 990. Il s’agit d’un emprunt au nom latin infans, « jeune enfant ». La fée est elle aussi présente en français depuis longtemps, car ce nom se trouve dans un texte daté d’environ 1140 ; il vient du latin fatum, « destin ». Le nom de la fable, attesté dans un texte de 1155, est pour sa part un emprunt au latin fabula, « propos, paroles » et « récit fictif ». Ce qui est remarquable, c’est que les trois noms latins cités viennent du verbe latin fari, « parler ». On comprend donc que le latin infans est littéralement le non-parlant, c’est-à-dire l’enfant. Les petits d’homme romains devaient être particulièrement sages.

Ivre et sobre

L’adjectif ivre apparaît en français vers 1140, avec le sens de « dont l’esprit est troublé par le vin ». Cet adjectif vient du latin ebrius, de même sens. Son opposé sémantique, sobre, est présent dans un texte d’environ 1170 ; curieusement, il signifia tout d’abord « qui mène une vie honnête, austère », avant de prendre rapidement le sens de « qui mange et boit avec modération » puis, bien plus tard, vers 1650, celui de « qui ne boit pas ». Sobre est un emprunt du latin sobrius, « qui n’a pas bu, à jeun ; modéré », lui-même dérivé de ebrius, qui a donné ivre ! Tout ramène à la vigne.

Œuvre, officine, opéra et usine

Apparu en français durant la première moitié du XIIe siècle, le nom œuvre signifie alors « objet créé par l’activité humaine ». Dans les décennies qui suivront, il prendra entre autres sens celui de « production artistique ou littéraire ». Le nom opéra est un mot italien qui signifie « œuvre » et qui est attesté comme terme de musique depuis 1639. Il arrive en France en 1659 avec la première signification de « chose excellente », puis, en 1669, il désigne l’art musical chanté.

Le nom de l’officine est très ancien ; il apparaît aux environs de 1170 avec le sens de « dépendances ». Bien plus tard, en 1532, il signifia « atelier », puis en 1812 « boutique de pharmacien, droguiste ou d’herboriste ». L’histoire du nom usine est intéressante. Le latin médiéval connaissait le nom usina, attesté en 922 en Franche-Comté, qui désignait un moulin. Au XIIIe siècle, on rencontre dans le nord de la France le nom occhevine, « bâtiment destiné à l’exercice d’une activité artisanale », mais ce nom est surtout attesté sous les formes picardes œchine, ouechine et euchine. En 1274, c’est la forme usine qui est attestée. Enfin, en 1749, le mot usine que nous connaissons est présent dans les textes. Avec la révolution industrielle, usine, à l’origine mot dialectal du Nord et de l’Est, se répandra dans toute la France.

Or, il se trouve qu’officine et usine sont sœurs, puisque officine a été emprunté au latin officina, « atelier, fabrique » et qu’usine vient d’officina par le latin vulgaire. Cela étant, ces quatre noms ont un ancêtre commun : il s’agit du nom opus, « ouvrage, acte, travail ». Œuvre provient de la forme latine opera, qui est le pluriel du nom opus.

Paix et payer

Le nom paix est bien ancien en français, puisqu’il apparaît durant la seconde moitié du Xe siècle. Il vient du latin pax, « paix, tranquillité, repos ». Le verbe payer date exactement de la même période ; il est d’abord attesté sous la forme de paier, il signifia « réconcilier avec le sens de rétribuer ». Payer vient du verbe latin pacare, « faire la paix, pacifier », dérivé du nom pax, « paix ».

Peler, pelouse, peluche et poil

Le nom pelouse est une forme dialectale, probablement empruntée au provençal pelouso, féminin de l’adjectif provençal pelous, issu du latin pilosus, lequel est dérivé du nom pilus, « poil ». Pelouse apparaît en français vers 1582, avec le sens de « terrain couvert de gazon ». Évidemment, le nom poil, présent dans un texte français daté d’environ l’an 1100, vient lui aussi du latin pilus.

Amusant : de nos jours, on utilise une tondeuse pour la pelouse ainsi que pour les cheveux. Mais ce n’est pas tout ! Le latin pilus a aussi donné un verbe latin, pilare, « arracher les poils, épiler », d’où vient le verbe peler, dont le premier sens, vers 1100, était « arracher les poils d’une personne ». C’est en se croisant par étymologie populaire avec le nom d’ancien français pel « peau » que, à la même époque, peler prit pour second sens « ôter la peau », notamment celle des fruits. Et le verbe pilare donna aussi peluchier, « éplucher », attesté vers 1180, à l’origine de peluche, « étoffe de soie proche du velours » (1591). On pouvait enfin fabriquer des jouets en forme de petits animaux.